http://vivian.noel.free.fr/allait/allait_long.htm
voici le résumé (paru dans les Dossiers de l'Allaitement n°34) de
l'interview sur le sevrage du Pr Katherine Detwiller, anthropologue
mondialement connue qui s'est spécialisée dans l'allaitement et la
maternité.
- Que faire si la mère souhaite sevrer, alors que son enfant veut continuer
à téter?
- Une femme ne doit pas se sentir absolument obligée de poursuivre
l'allaitement quand elle en a par dessus la tête. Mais il est très important
que la mère sache avec précision quelle durée d'allaitement représente la
norme pour l'espèce humaine, ce qui implique une bonne connaissance des
raisons pour lesquelles son enfant souhaite continuer à téter : pas parce
que c'est un tyran qui manipule sa mère, mais parce qu'il en a encore
besoin. Elle doit aussi connaître les éventuelles conséquences négatives
d'un sevrage trop précoce. Beaucoup de femmes sèvrent rapidement parce qu'on
leur a dit que ce n'était pas la peine de continuer, que c'était de l'
égoïsme, qu'allaiter plus longtemps ne présentait aucun avantage...
Personnellement, mon but n'est pas que les femmes allaitent pendant un
temps précis. Je souhaite juste qu'elles puissent décider réellement en
toute connaissance, ce qui est actuellement très loin d'être le cas.
Il y a quelques semaines, je discutais au téléphone avec un médecin, à
propos des résultats des plus récentes recherches anthropologiques selon
lesquelles la durée normale de l'allaitement chez les humains serait de 2,5
à 7 ans (voir DA n°24, p.18: Le bon âge pour sevrer - Considérations
anthropologiques ; KA Dettwyler). Il m'a demandé : " Pensez-vous que je
devrais dire à mes patientes qu'elles doivent allaiter au moins 2 ans et
demi ? " Je lui ai répondu : " Je ne recommanderai jamais à personne de
dire aux mères qu'elles doivent allaiter au moins 2 ans et demi ; leur dire
qu'il semble que ce soit la durée minimum prévue par la nature pour notre
espèce me semble plus approprié. Si vous savez qu'une chose est normale,
vous l'accepterez plus facilement. "
Tout le monde trouve normal qu'une grossesse dure 9 mois. Il est certes
possible de faire vivre un bébé né plus tôt, mais je crois qu'il ne
viendrait à l'esprit d'aucune mère de vouloir faire naître son bébé avec 3
mois d'avance uniquement pour être enceinte moins longtemps, étant donné
les risques pour l'enfant. Par contre, si l'on répétait aux femmes qu'il n'y
a aucune raison pour qu'elles assument jusqu'au bout la " corvée " des 9
mois de grossesse quand l'environnement des services de néonatalogie est
presque aussi bien "que l'utérus, un certain nombre d'entre elles
choisiraient certainement d'accoucher à 6 mois. Donc, si une femme souhaite
allaiter seulement pendant 6 semaines, libre à elle ; je n'y vois
personnellement rien à redire dans la mesure où elle a reçu toutes les
informations sur les avantages d'un allaitement durant le temps prévu pour
notre espèce, et les possibles inconvénients à ne pas respecter cette norme.
Cela dit, si la mère d'un enfant de, disons 3 ans, souhaite sevrer parce
qu'elle en a vraiment assez de l'allaitement, je pense qu'elle a le droit de
tenir compte de ses propres souhaits. Après tout, j'ai sevré mon cadet à 5
ans et demi, alors que lui n'en avait aucune envie !
- Dans la mesure où l'allaitement long est mal vu dans notre société,
peut-il avoir des conséquences psychologiques néfastes chez la mère ou
l'enfant ?
- Les enfants pensent généralement que la façon dont ils vivent est la
norme. Mon cadet connaît d'autres enfants qui ont été allaités à peu près
aussi longtemps que lui, et il trouve cela parfaitement normal. Il sait
qu'il y a de "pauvres bébés" qui ont la malchance de ne pas être allaités.
Je pense que ce que pourra ressentir un enfant allaité longtemps, lorsqu'il
découvrira que c'est plutôt l'exception que la règle chez nous, sera du même
ordre que ce qu'il pourra éprouver lorsqu'il se trouvera confronté pour la
première fois au ra racisme ou à toute autre forme d'intolérance.
Le fait que nous vivons dans une société raciste n'implique pas que nous
devons
convaincre nos enfants qu'il est normal d'être raciste, uniquement pour leur
éviter les éventuels problèmes psychologiques qu'ils rencontreraient en ne
l'étant pas. En ce qui me concerne, j'apprends à mes enfants ce en quoi je
crois, à savoir et entre autres l'importance de la tolérance et du respect
de l'autre, et qu'il est normal d'allaiter longtemps.
- L'allaitement après un an est-il réellement toujours source d'avantages?
- Peu d'études portent spécifiquement sur ce sujet. Mais de nombreux travaux
montrent que les avantages pour l'enfant et la mère sont d'autant plus
grands que l'allaitement dure plus longtemps. Bien sûr, cela dépend aussi du
patrimoine génétique de l'enfant, de ses prédispositions, de son
environnement... Il est donc difficile d'apprécier exactement les
inconvénients d'un sevrage précoce ; certains d'entre eux peuvent être
négligeables, d'autres peuvent être mortels. Le problème, c'est que les
enfants ne naissent pas avec une notice indiquant : " Allaitement long très
fortement recommandé " ou " Se portera presque aussi bien s'il est nourri au
lait industriel ". La prudence voudrait donc que la durée minimale
d'allaitement prévue pour notre espèce soit respectée pour tous les enfants.
- Est-il vraiment fiable d'extrapoler l'âge du sevrage chez les humains à
partir des observations faites chez d'autres mammifères ? Après tout, nous
ne sommes pas des animaux comme les autres.
- Nous sommes des mammifères. Comme les autres mammifères, nous mangeons,
respirons, urinons, déféquons et dormons... et ne voyons rien à redire à
ces fonctions. Sur le plan anthropologique, les humains sont remarquablement
proches des grands primates, à tous points de vue. Les grand primates
utilisent des outils, ont un " langage " souvent très complexe, des règles
de vie en société, des " traditions culturelles " spécifiques à chaque
groupe... Nous sommes à l'extrémité du continuum des grands primates. Nous
avons la plus longue durée de gestation, la plus longue durée de croissance
avant l'âge adulte, l'âge de maturité sexuelle le plus élevé, pourquoi
serions-nous différent pour l'allaitement ?
Je recueille actuellement des données sur les mères qui ont allaité un
enfant pendant plus de 3 ans. Mon premier but est de montrer qu'il existe
des femmes qui le font, " même chez nous ". Je souhaite aussi que ces
données puissent aider à faire des études sur l'impact à long terme d'un
allaitement de plus de 3 ans. J'ai actuellement des réponses concernant plus
de 2000 enfants. Pour vous donner une petite idée, j'ai le témoignage de 2
mères qui ont allaité leur enfant jusqu'à 9 ans, de 10 mères qui ont allaité
jusqu'à 8 ans. J'ai une mère qui a allaité chacun de ses 3 enfants pendant
environ 6 ans ; j'ai même une mère qui allaite 4 enfants en même temps : un
de 5 ans, un de 2 ans, et des jumeaux de 3 mois. Et cela aux USA, et pas au
fin fond de l'Afrique noire ou de la Nouvelle Guinée.
D'après une interview de KA Dettwyler, par K Griffith - Extended nursing :
the human norm. Texte intégral de l'interview à ParentsPlace :
http://parentsplace.com.
Katherine Dettwyler est professeur d'anthropologie.
Elle a co-édité, avec P Stuart-Macadam, le livre : "Breastfeeding -
Biocultural perspectives" (1995).
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