C’était une drôle de grossesse, une grossesse qui ne ressemblait pas aux précédentes tout en gardant de grandes similitudes. Après une grosse alerte qui m’a fait très peur à 5 mois ½, et les mesures de repos qui s’en sont suivies (avec notamment la garde des petits), je me suis… épanouie. Tellement que j’ai mené de front 10 projets par jour plus les tâches de la maison, tellement qu’au dernier mois je portais, sciais, assemblais, « courais » sans aucune contraction. Toute à cette euphorie, je ne savais plus que j’allais accoucher. Ca semblait tellement irréel ! A 15 jours du terme j’ai commencé à suivre assidûment les naissances à droite et à gauche, histoire de me rentrer cette drôle d’idée dans le crâne : un de ces jours, bientôt, projets finis ou pas, je n’aurai plus de gros bidon mais… un tout petit nourrisson.
Mon mari a décidé pour moi : « Vendredi, entre 13 et 14h, ce serait bien, les petits sont l’un à la crèche l’autre à l’école toute la journée, ils rentreraient pour découvrir leur petite sœur – oui ce serait bien ». Tu as raison chéri.
Lundi soir j’ai des contractions pour la première fois depuis la fameuse alerte. Je laisse le temps passer, c’est plutôt régulier mais pas douloureux, ou peu. Je finis par prendre un bain, elles passent. Je me dis que ça travaille. Quelques contractions encore 2 jours plus tard, au soir toujours, puis encore le lendemain. Juste de quoi prendre conscience oui, juste de quoi m’aider à me faire à cette, encore, drôle d’idée.
Vendredi matin je me lève, je prépare et j’amène les enfants à l’école, à la crèche, les contractions recommencent. L’idée a fini par germer, cette fois je me dis que c’est pour ce soir, ou ce week-end. Après quelques hésitations je téléphone à ma SF, lui racontant tout ça… enfin, à peu près quoi.
J’étends mon linge, pars faire mes grosses courses livrées, gros bidons et packs à mettre dans le caddie, courir dans les rayons, patienter à la caisse. Les contractions sont quand même bien installées, elles font mal.
Sur le chemin du retour je croise des voisines, qui me trouvent fatiguée alors que d’habitude le qualificatif est plutôt « rayonnante » : ben oui j’ai une contraction, je suis blanche.
« A priori c’est pour ce soir », leur dis-je. Je rentre, prépare le repas que je vais partager avec une copine (elle vient chez moi les vendredis, je vais chez elle les lundis), me dépêche de percer le dernier trou pour accrocher mon rideau, assemble les affaires nécessaires à l’accouchement… Je repousse le moment de téléphoner à D., qui sur son répondeur dit quand même « indisponible pour un court moment […] je rappelle dès que possible » : j’ai le temps.
D’ailleurs je suis contente, je n’ai pas eu ce temps pour mes précédents accouchements. La douleur commençait 3 petites heures avant la naissance, pas plus. Alors je savoure cette différence, je savoure le temps qu’il reste, l’idée enfin bien éclose d’une fin à ma grossesse, d’un début de nouvelle vie ; je savoure aussi cette possibilité d’action intacte malgré les contractions, malgré le ventre qui se tord. Faire comme si de rien, tout en sachant.
Ma copine repartie je commence à libérer l’espace du salon, là où je vais accoucher. Je vire les jouets, le tapis, déplace l’étagère ; je déplie partiellement le canapé-lit, tente d’y placer la bâche puis le vieux drap (tout glisse), mets bien en évidence oranges et presse-citron dans la cuisine.
J’ai mal au ventre, je passe souvent aux toilettes. Le bouchon muqueux part vers 14h30, c’est la première fois que je vois ce truc-là. Rigolo… Il serait temps d’appeler D.
Je ne sais pas quand je l’appelle en fait, tard c’est sûr. Sur le répondeur encore je dis que c’est pour ce soir.
Je pars chercher Eloïc à la crèche, avec la poussette vide que j’avais remontée au cas où je ne serais pas celle qui le chercherait. On m’y redemande le terme : « Mardi, mais en fait j’accouche ce soir » - la personne est étonnée par mon aplomb.
La côte est toujours aussi rude en remontant, ça contracte dur, je ne m’arrête pas de marcher mais de parler si, et d’écouter le petit bonhomme qui me montre les voitures, les couleurs. Rydwen veut aller dans les bras, comme d’habitude. Je la porte donc, poussant la poussette d’une main, naviguant entre les bosses du trottoir en travaux, les contractions qui me font haleter, les arrêts aux feux, le bavardage des petits qui demandent réponse.
Pour cette fois nous n’allons pas dans le jardin de la résidence, on rentre. Je donne leur goûter aux petits, puis essaye de limiter le nombre de jouets qui réinvestissent le salon. Les contractions sont trop intenses, je plonge la tête dans le fauteuil, dans la position de l’autruche, à chaque fois qu’une arrive.
Je repasse un coup de fil à D., lui disant, toujours sur répondeur, qu’un petit coup de fil pour signaler sa disponibilité me rassurerait beaucoup. J’enchaîne sur un coup de fil à mon mari, lui demandant de rentrer. Il est 16h45.
Ma copine de ce midi m’appelle bientôt : « Tu veux que je passe ? J’attendrai qu’Olivier rentre, et j’emmènerai tes enfants chez moi ». Oui, merci !
Elle arrive avec ses deux filles, c’est vite le bordel à la maison. Et je me mets à 4 pattes, plonge la tête, pour répondre 1 minute plus tard à la plus grande (3 ans ½) que c’est ce qui me fait du bien, car le bébé dans mon ventre va bientôt sortir.
Les miens sont prévenus, je leur ai parlé sur le chemin et par la suite. Ils savent que la petite sœur arrive.
Quand Olivier arrive je me pends direct à son cou, me balançant doucement au bout des bras ; il me soutient. Ma copine dit qu’elle va partir, Eloïc est le premier à la porte ; sans pull, sans chaussures, tout de suite il demande : « On y va ? A tout à l’heure maman ! » Il m’épate ce petit, j’ai une larme dans l’œil. C’est bien lui qui était si collé à moi ces derniers temps ? N’acceptant que les bras – que mes bras ?
Ils partent, Olivier s’inquiète : « Alors tu as eu la SF ? » Il est 17h15.
J’appelle encore, encore le répondeur : « J’accouche là ! Comment je fais si t’es pas là ? »
Internet ne marche pas. Il marche toujours, mais pas là. Je commence à m’affoler, enfin une partie de moi.
Je réessaye une dernière fois.. Miracle ! Vite le site de l’Accueil Naissance, où trouver les numéros des autres SF. On me donne le numéro de F.B., qui me propose de venir.
Peu après c’est D. qui m’appelle. « Mais pourquoi tu m’as pas dit ce matin que tu avais des contractions ???? » Ah, je ne l’ai pas dit ? Oh, peut-être… En fait elle avait écouté deux fois mon message, mon « roman-fleuve » comme elle dit, pour en conclure, à mon ton, à mes mots, que ce n’était pas pour tout de suite. Elle pensait passer le soir, ou le lendemain matin – et n’a pas rappelé. Dans l’après-midi elle était sur des urgences…
Bref voilà qu’elle arrive aussi, de l’autre bout de Paris.
Quand F. arrive les contractions sont rapprochées de 4 minutes environ, elles me font gémir. F. me propose de m’installer sur le canapé, sa partie dépliée. Je demande à Olivier de s’y asseoir pour que je puisse le toucher. Nous parlons, plaisantons, de façon entrecoupée puisque je plonge régulièrement la tête dans le giron de mon homme, m’accrochant à lui comme à une bouée dans un naufrage.
Les contractions s’espacent. Je suis contente, j’ai plus de temps pour respirer, pour décompresser. Mais ça fait un peu bizarre quand même. J’en suis à 10 minutes d’intervalle.
Et puis d’un coup en voilà deux qui se suivent à 3 minutes maxi, 2 suivies, après quelques secondes, par la sonnette : D. est là. Et les contractions ne s’arrêtent plus.
Je n’ai pas eu conscience du départ de F. Il est 18h, ou plus.
A un moment Olivier s’en va, il a trop chaud en pantalon. Cette unique contraction hors de lui est horrible, impossible.
Mais même avec lui les contractions sont trop fortes, à peine supportables. A un moment je lui demande de me masser en bas du dos – « Non là sur les côtés ! » D. se joint bientôt à lui, mais surtout me dit ce qui sera son refrain tout au long du travail : les contractions c’est le temps du bébé, le temps de sa descente, je dois lui laisser le passage, aider l’ouverture ; dès qu’elles s’arrêtent c’est mon temps, alors que j’en profite tout de suite pour me détendre, respirer, penser à moi. A chaque nouvelle contraction elle m’exhorte : « Laisse venir, accompagne ne lutte pas, ouvre-toi, sens le bébé qui progresse ». C’est magique dit-elle encore, goûte ces moments, profite, profite ! Et : c’est le moment de dire adieu à ta grossesse, c’est un moment important.
Parfois j’ai l’impression de perdre, je me braque contre la douleur ; parfois je gagne, j’accompagne, j’ouvre autant que je peux. Sur une même contraction souvent il y a un peu des deux. D. me félicite, je ne comprends pas pourquoi, puisque je n’ai pas tout juste.
Olivier me murmure des mots d’amour pendant que je le broie. Que je l’aime ! Jamais je crois nous n’avons été aussi proches dans ma perception, c’est comme faire l’amour mais plus fort, plus fort…
A un moment D. me dit qu’il serait peut-être temps d’enlever ma culotte. C’est une drôle d’acrobatie, je n’aurais pas réussi sans son aide et celle d’Olivier. Peu après je crois elle me demande de me tourner, de me mettre sur le dos pour qu’elle voit où ça en est. Ca me paraît la pire des tortures. Je commence à me tourner une première fois mais non, je ne peux pas. La seconde fois la contraction dure horriblement longtemps il me semble, cette position est infernale, et je me fous un peu du résultat : ouvert à 4-5 seulement ; elle touche la tête. Je peux me remettre comme l’autruche, ouf ! c’est tout ce qui compte sur terre.
Du temps passent, et des contractions. Je crie chaque fois, tout le long de la contraction. Au « début » les cris sont aigus, petit à petit avec le travail qui avance ils deviennent plus grave. Le temps est distordu, il n’avance pas. Entre deux contractions j’ai l’impression de ne plus en avoir pourtant pour reprendre mon souffle, je répète encore et encore « C’est dur, c’est dur. ». Pendant les contractions je me demande chaque fois comment je fais pour crier si longuement – parfois j’aspire comme une noyée avant de reprendre, mais ce n’est que perte de confiance en moi, car sinon je tiens, incroyablement je tiens. J’ai une force terrible ! qui ne m’appartiens pas.
Je suis concentrée sur cette ouverture, sur cette descente, il faut aller dans la douleur non la combattre. Je sens venir la petite, je la sens quand elle s’engage, je sens… je sens !
« Ca y est, crie d’ailleurs D., elle est engagée ! Mets ta main (elle me la pose sur la tête de mon bébé), laisse venir Laure, c’est ta puce qui traverse, laisse faire ton bébé ! » A travers la douleur toujours j’ouvre autant que je peux, c’est terriblement dur mais je ne braque pas, je laisse faire, je laisse pousser, j’accompagne même, et à la fin de la contraction je sens le gros périmètre de la tête de mon bébé qui est là, le gros périmètre qui est passé, et tandis que D. me dit de tenir, d’ouvrir, d’ouvrir encore, voilà que le reste de la tête glisse, passe, se blottit dans ma main, alors que la contraction est derrière ! alors que la contraction est terminée – et tout s’enchaîne alors : elle attrape les épaules, le bébé sort complètement, D. le remonte sous mon ventre pour que je puisse mieux le tenir, et elle est là, et c’est fini, c’est incroyable que ce soit fini, je n’ai plus à me concentrer, plus à m’ouvrir, elle est là je peux me détendre, elle est là, elle est là…
Olivier et D. cherchent l’heure : 19h31. Ca a été rapide, j’ai eu l’impression d’un temps infini. Et pourtant si bref ! Déjà là, déjà là, elle est là j’ai réussi…
Je ne réalise pas, je rigole ; je me désole aussi : elle pleure, elle pleure longtemps. Olivier la découvre, il se disait bien qu’elle devait être sortie puisqu’il l’entendait, mais dans sa position et la petite sous mon ventre il ne la voyait pas. « Elle en a des choses à exprimer » me dit D., m’encourageant à bien le vivre.
Avec Olivier elle m’aide à m’installer sur une espèce de seau, très confortable d’ailleurs, qui recevra le placenta. J’ai les jambes toutes raides… A peines deux minutes et voilà qu’il glisse hors de moi, tombe ! D. est ébahie, « Ca c’est du rapide ». On parle placenta, je veux le garder au congélo le temps de lui trouver un coin de terre. Pas de bébé lotus pour nous, nous ne sommes pas prêts à cela.
D. pèse la toute-petite, ou plutôt c’est Olivier : elle a pour ça une balance façon ressort à laquelle est suspendue un tissu, qui va bercer ma petite fée, la calmer enfin. 2kg975, un petit poids après les deux autres. Le placenta lui est gros, elle était bien nourrie malgré tout.
On m’installe dans le canapé transformé en lit ; la couette bientôt nous recouvre elle et moi, toutes nues l’une contre l’autre. On me donne du jus d’orange pressée avec du sérum physiologique pour réduire les pertes de sang, des dattes pour me rassasier, de l’homéopathie pour diminuer la douleur des contractions de l’utérus et pour aider celui-ci à reprendre sa ^mace. D. part à côté rédiger ses papiers, Olivier reste un peu, puis à 20h45 va chercher les petits. La mini-puce tète.
D. est partie, les petits lavés et en pyjama découvrent leur petite sœur, ils sont contents, c’est une drôle de poupée contre maman. Leur papa les envoie au lit, Rydwen n’est pas d’accord elle veut dormir là avec nous aussi ! Je lui explique que le bébé va se réveiller plusieurs fois pour manger cette nuit, qu’elle dormira mieux dans son lit – Olivier l’emmène et elle s’endort tout de suite, comme son frère.
Cette nuit-là la petite se réveillera 3 fois, moi beaucoup plus, gémissant à cause des contractions qui m’assailleront sans beaucoup de répit. Le lendemain nous avons pu comprendre pourquoi : D. s’est trompée dans les doses d’arnica, me donnant le 15CH du 3ème jour à la place du 5CH. Du coup mon utérus a diminué trèèès vite.