Je sais ça date, mais j'avais envie de vous faire partager ce parcours...
C'est long super désolée !!!!!!
Naissance d’Arwen, samedi 9 novembre 2002.
Depuis quelques semaines, je me suis trouvée à me renseigner sur la façon dont on peut accoucher. Je découvre l’accouchement à domicile, ça me tente bougrement, mais je suis à plus de 7 mois de grossesse, c’est trop tard, et j’ai confiance en la clinique que nous avons choisie. Ma préoccupation centrale étant l’allaitement, je suis parée, formée comme une pro, dans les moindres détails, et ce chemin m’a entraîné sur la voie du maternage. Ton père et moi sommes allés dès 6 mois de grossesse à une réunion Peau à peau et avons acheté une écharpe de portage, que j’ai déjà hâte d’utiliser. Je sais d’ores et déjà que je ne me servirai pas d’une poussette, on n’en achète pas d’ailleurs : cette écharpe, c’est une nécessité vitale pour un bébé, j’en suis certaine. C’est en tout cas une nécessité vitale pour Toi, mon Bébé, car tu es la plus belle merveille qui m’attend, je le sais.
J’ai du fortement insister après la première échographie pour la datation de grossesse : je ne veux pas être déclenchée, je sais déjà que je veux accoucher sans péridurale, au moins essayer. Le terme est le 10 j’en suis sure, je sais que tu as été conçue un dimanche 10 février, ton père aussi l’a senti… Le gynéco veut bien me croire, il date la grossesse au 7 février pour sa part. Avant le terme effectif, je négocie avec lui de façon gentille mais ferme : je ne ferais pas de déclenchement, le terme est pour moi le 10 donc vous me laissez au moins jusqu’au 17. Il tranchera pour le 15. Je sais que tu seras là avant.
Le 8 novembre, je cours les rues de Paris : rendez vous pour contrôle avec les sages femmes, désagréables au possible, le matin. Retour le soir à 18 h sous la pluie, avec le siège cosy-auto-nacelle acheté et ramené seule depuis l’autre bout de Paris. Je sens que ce sont les derniers moments avant que tu arrives…
Dans la nuit, vers 1h nous nous couchons avec ton père. A peine allongée, je sens les toutes premières contractions. J’en ai depuis le 5ème mois, mais celles là sont très différentes, je ne saurai dire en quoi… Je sens que tu arrives, tout simplement.
Je suis vite obligée de respirer, calmement, car ça tire dur : les contractions reviennent déjà toutes les 8 minutes.
Je vais sortir du lit et m’installer dans le salon de notre appartement à C. : sur le canapé. C’est là que se sont finies beaucoup de mes nuits, écourtées à cause des insomnies dues à la position, aux envies d’uriner. A chaque fois, je me suis rendormie comme un bébé, rassurée, lovée dans la couverture qui servira à t’accueillir quand tu seras là… Je me retrouve donc dans le salon. Il fait noir, je laisse les rideaux ouverts, je vois la nuit, j’entends quelques voitures, tout est calme, je suis calme, je t’attends.
Je laisse ton père dormir, je veux vivre ces instants, seule à seule avec toi : on forme déjà une belle équipe toutes les deux, et on se suffit l’une à l’autre dans ce moment là. Bientôt, je m’allonge par terre, pour me coucher sur le côté, les jambes repliées, position fœtale, sur le coté droit. Je ferme les yeux, je t’accompagne, je respire pour t’oxygéner, je ne pense qu’à toi. Mes pensées sont en communication directe avec toi, j’accompagne les contractions en pensant à toi pleinement, comme jamais je n’ai pensé à rien d‘autre d’ailleurs… C’est une sensation de fragilité et de puissance tout à la fois qui me submerge : fragilité devant la douleur qui monte lentement, et puissance devant notre intimité, si forte et si dévastatrice… à tel point que la douleur ne me fait mal qu’extérieurement. Au bout de quelques heures je vérifie que les contractions avancent : elles réapparaissent toutes les 5 minutes. Je ne regarderai plus après, j’arrête de vouloir jouer au scientifique : le travail se fait, tout seul. Ces moments restent gravés dans ma tête : cette intimité, cette puissance de la naissance, cette communication d’un si petit déjà si fort…
A 6h du matin, le jour commence à poindre. Je me dis qu’il faut appeler la sage femme, histoire d’avoir quelqu’un à qui parler. Je me fais limite engueuler et elle m’ordonne presque de venir immédiatement. Je demande si je peux au moins déjeuner, elle m’engueule encore plus. Je réveille donc doucement ton père, en prenant ma douche. Il a senti ces dernières heures que tu arrivais : il a eu beaucoup de mal à dormir. Le voilà debout. Un peu stressé ; moi pas du tout, je suis heureuse et très sereine. Il veut faire la valise : pas la peine mon amour, tout est déjà prêt, regarde : le sac pour le séjour, le sac pour la naissance, et notre vanity de beauté à toutes deux. Nous regardons le ciel bleuté, le matin est beau. Ton père est tendu, donc à contre cœur, je le laisse appeler le taxi. Je sais qu’une fois engagée sur la route, les choses vont changer, je le sens déjà, et je ne veux sans doute pas tout à fait partir…
Le taxi arrive. Moi qui craignais la position assise, en fait je n’ai plus du tout mal. Je me demande même si c’est la bonne. U. me tient la main, très angoissé. Paris est si beau ! Nous passons devant le Pont au Change, nous voyons Notre Dame de loin, l’Ile Saint Louis sur les quais… c’est un apaisement magnifique.
Arrivés à la maternité, nous sommes amenés en salle pour un monitoring, tout va très bien, ton cœur est parfait. Je ne suis qu’à 2,5 : le travail commence à peine : c’est long, comme pour un premier enfant !
Depuis que nous sommes arrivés, je suis sur le qui vive, me sens dans un environnement hostile, ceci avec le recul, car alors il fallait gérer les contractions. La sage femme à qui j’ai dit que je voulais me passer de péri a eu un sourire ironique au coin des yeux : je sais d’ores et déjà que je vais devoir faire toute seule, sans aide aucune.
Je commence à fatiguer, à 8 h je plonge dans un bain de dilatation que ton père me fait couler. Les contractions sont plus fortes dans l’eau, plus intenses, mais moins nombreuses, ça travaille c’est sûr. Je ne suis pas bien, la baignoire est mal située, plein de choses l’encombrent, je ne peux pas m’asseoir alors que c’est ce qu’il me faudrait. J’ai froid, je sors donc. Je suis à 5 cm. Je suis fière, le travail avance bien et toi tu vas très bien. Je te sens parfois bouger, je crois, et je ne pense toujours qu’à une chose : t’oxygéner, toujours te donner de l’oxygène.
Je travaille encore comme ça jusqu’à 7 cm, seule, avec ton père à mes cotés, silencieux, qui est si important dans l’accompagnement qu’il fait ! Il est angoissé, il n’aime pas être dans ce lieu, mais il est tellement avec moi ! Il a confiance en moi, je le sens, il a confiance aussi dans la douleur que je ressens : il sait que je gère, que finalement, je suis bien là… Mais je suis fatiguée, j’appelle une sage femme pour la première fois de ma propre initiative. Je suis fatiguée, j’ai besoin de savoir combien de temps encore, en fait j’ai besoin qu’on m’encourage, qu’une femme me dise toute la confiance qu’elle place en moi…
Peine perdue : elle me dit qu’elle ne sait pas, que ça peut encore durer des heures, l’air contrit, et repart sur un « appelez moi quand vous voudrez la péri ! ». U. panique un peu, me voir souffrir l’angoisse, je le sens, je vois qu’il n’aime pas ça du tout. Il me conseille la péri, tu seras moins fatiguée, tu pourras pousser… Je décide donc que je prendrai la péri : je suis fière d’être allée jusqu’à 7, seule. Je suis un peu déçue aussi, comme un échec latent dont l’impression ne va aller qu’en s’amplifiant …
Là les sages femmes sont présentes, l’anesthésiste très gentil me laisse m’allonger pour faire la péri. Tout va mieux très vite. Cependant, je ne sentirais plus rien du tout. Et c’est là que tout s’accélère. Au bout de 1h 30, vers 10h30, le travail ralentit, obligé de mettre de l’hormone. La sage femme a changé, celle là débute tout juste, elle me dit qu’elle a accouché là dans la salle Océane pour sa fille, sans péri… Je me sens encore plus désolée, et déçue.
Après l’hormone, c’est au tour du gynéco. Il vient d’arriver, il est 11 h 00 il veut me faire pousser. Je ne ressens rien, je refuse, je lui dis de repasser dans 1 h. Il revient une demi heure plus tard, et la sage femme de l’œil me dit que oui, je peux pousser, ça va, je suis à dilatation complète.
Etriers en place. Mais le droit est branlant, je ne peux absolument pas m’appuyer dessus. Je le dis, on ne m’écoute pas, je le redis, on le manipule puis on le laisse, dans le même état. On me dit de pousser. Je ne sens rien. Il paraît que je pousse vers le haut, que je ne sais pas pousser. Je suis désespérée, mais je reste alors encore plus en contact avec toi, je t’oxygène toujours, je peux le faire sans la douleur, je me dis que c’est la moindre des choses que je puisse faire, puisque je ne sais pas te mettre au monde, et je m’enfuis dans ma bulle, avec toi, pour ne pas m’abîmer dans ces propos terribles…
Finalement ça ne va pas assez vite, et tout à coup, détresse fœtale, ton cœur ralentit. Dans le même temps, tu t’es retournée, dos à droite, tu es coincée, je m’en souviendrai plus tard, je m’en rendrai compte des mois plus tard : en fait, tu avais tellement d’espace pour bouger que tous ces touchers vaginaux, cette précipitation t’ont fait te tourner, et je ne réussissais pas à pousser, car tu étais coincée, je le sais. Donc une autre femme, une puéricultrice sans doute, appelée en renfort, va me faire des pressions abdominales, douloureuses, humiliantes surtout, choquantes pour ton père. Moi je ferme les yeux, je respire pour toi… rien à faire. Alors forceps et épisio. Je plonge mes yeux dans ceux de ton père, il est stressé, il a peur mais me renvoie mon sourire, car il sait que j’en ai besoin ; il m’a donné tellement d’amour dans ce très court regard, tellement de force et de confiance : je ne pouvais pas rater notre rencontre, malgré tout le reste…
Le médecin ne va pas te chercher, je le sens qui écarte le passage et j’arrive à pousser parfaitement, comme une fleur alors, et je sens passer ta tête, et de suite tu es là, entre moi ; le médecin me dit de venir te chercher je le fais avec bonheur. Je t’assois sur moi, tu es belle ! Si belle ! J’ai vu en premier les plis sur tes épaules, ces petits plis du bébé bien portant, fort, puissant à la vie. Tu as les yeux grands ouverts, très surpris, je pense en fait que pendant tout ce temps, tu dormais.
Tu ouvres un regard profond, interrogateur sur moi. Je me sens épiée jusqu’au tréfonds de mon âme : c’est toi ma mère ? C’est toi qui va prendre soin de moi ? Es tu digne de moi ? Je me sens vraiment ouverte à ton regard, en symbiose totale. Je te parle immédiatement, tu me regardes, goulûment, tu me dévores, et c’est un moment de partage que personne ne perçoit, sauf nous deux…
Je te couche sur mon ventre, je te caresse, je te parle. Papa vient te regarder aussi, dans les yeux, tu l’observes aussi, tu reconnais sa voix sans doute, tu ne pleures pas, tu es bien. On coupe le cordon et on t’emmène pour les soins. Je suis déchirée de t’avoir déjà loin de moi, U. t’accompagne, ne te lâche pas d’une semelle, c’est important pour moi. Dès qu’on te retire de moi, tu hurles, à t’époumoner. Je demande si tu vas bien. On me dit, mi agacé, mi ironique qu’avec des hurlements pareils, ça ne fait aucun doute. J’attends, on me recoud, je suis fatiguée et je t’attends, je suis en manque de toi, je n’attends que toi.
Te revoilà enfin, rapidement, dans les bras de ton père. Vous êtes si beaux ! Je pleure de bonheur, de vous voir tous deux, réunis, a veiller l’un sur l’autre. Tu pleures moins, mais encore. Quand papa te repose sur moi, tu te calmes, très rapidement. Je te rassure, je te parle, je te dis tout mon amour déjà. Une puéricultrice vient te forcer de façon ridicule et brutale à prendre le sein, l’air d’avoir une corvée à faire. Je sais que tu n’es pas bien positionnée, mais je mens pour qu’elle nous foute la paix. Une fois qu’elle est sortie, tu relâches le sein, tu ne têtes pas, tu n’en as pas envie. Avec papa, nous décidons de te placer autrement, que tu sois à l’aise et de te proposer l’autre sein, c’est papa qui a cette idée, placée différemment, celui là, tu veux bien.
Après des conseils en allaitement qui auraient pu mettre à genoux toute nouvelle maman, je vais faire confiance à mon instinct et à toi, ma salamandre. Une fée, de nuit, le dimanche, viendra nous aider à nous caler l’une à l’autre, et me rendra la plus fière des mères en me disant que tu têtes déjà comme une pro, et que mon allaitement sera long et n’aura jamais besoin de complément vu la championne que tu es. A partir de cette nuit de douceur, d’amour de cette femme, de profond partage d’une mère à une autre, je vais prendre la puéricultrice, toujours elle, la chef du service, avec beaucoup d’ironie, U. aussi qui va être un loup autour de nous, protecteur et agressif quand il le faut. Il dort avec nous, nous sommes tous trois, toujours. Pas de place pour la puéricultrice, elle est agressive, se sent remise en cause dans son pouvoir et ça nous fait bien marrer, comme des sales gosses !
La première nuit, c’est ton père qui va intégralement s’occuper de toi : il va apprendre à mettre une couche, te changer, te donner le bain le lendemain, c’est lui qui va tout m’apprendre. Moi je me préoccuperais de te nourrir ; et notre chemin va durer 6 mois plein, sans complément en effet, avec des moments durs, mais un bonheur inouï, ma plus grande sensation intime d’être mère, relayée par le maternage…
Ma petite étoile, rien n’aurait pu entacher notre lien, si fort, si intense déjà in utero : les promesses que tu m’as faites, alors que tu étais dans mon ventre, si vivante, si tactile, si gaie, tu les tiens chaque jour. Et chaque jour l’admiration pour toi est plus forte, plus grande… je n’ai pas eu l’accouchement que je voulais, mais je t’ai mise au monde comme je l’entendais, dans les mois qui ont suivi. Et tu m’apprends chaque jour encore de nouvelles choses sur moi même, je me sens grande grâce à toi… Je sens que pour un second enfant, l’accouchement à la maison sera l’unique alternative acceptable, j’aurai le temps cette fois de tout préparer. Et ce parcours d’une mère qui décide de se faire confiance, de se sentir fière et puissante d’être une Femme, c’est toi qui m’en a montré le chemin. Tu m’as donné la fierté d’être une femme à travers mon chemin de mère. C’est grâce à toi que chaque jour de ta vie, j’ose être une mère comme je l’entends, celle dont tu as besoin.
Bienvenue au monde ma Salamandre.